Décrocher des Beaux-Arts pour travailler sur une ferme ; refuser d’exposer un travail singulier, maîtrisé, pour ne pas dire remarquable, voilà, en bref, Philippe Azema. Il peint au rasoir, à la pointe de bois effilée, en noir sur du papier posé à l’horizontale puis marouflé sur de vieux draps de lit, des peintures rupestres du 21e siècle, immédiatement reconnaissables par leurs fonds comme des incendies. Philippe Azema est un artiste très secret…
Guy Bailey
Diplômé de l’École des Beaux-arts de Montréal en 1967, Guy Bailey expose dès 1973 ses peintures naïves au Musée du Québec. Ces œuvres, qui illustrent le Québec rural, ont été montrées tant au Canada qu’en Europe. À compter des années 80, il effectue un virage majeur dans sa pratique. Se débarrassant d’un style et d’un certain académisme, il peint alors de façon instinctive et avec virulence des œuvres expressives, voire angoissantes, résultat de l’exaltation de cet affranchissement. Ses sculptures et ses tableaux coups de poing, aux titres ironiques ou amusants, sont construits de matériaux inusités et de couleurs saturées, de gestes brusques et primitifs. À travers ces cris du cœur et de l’âme, ces éraflures et ces déchirures, pointent le bonheur inaltéré et le besoin viscéral de créer.
Emily Beer
Née à Paris, Emily Beer (prononcer « bear » comme l’ours), crochète et brode sur ses genoux, partout, devant la télé, en voiture… et en atelier. Costumière professionnelle pour le cinéma, sa démarche en arts visuels propose un travail d’aiguille libéré des contraintes, coloré et chargé d’émotion. Les titres qu’elle donne à ses œuvres véhiculent une douce contestation. L’un de ses sujets de prédilection est le corps humain et les organes internes : elle réalise notamment des cœurs tridimensionnels d’un grand raffinement. Son travail est d’abord remarqué au Japon où sa minutie plaît. Présente à la Biennale Hors-Normes de Lyon en 2015, elle comprend que son approche intuitive et ses sujets sont les mêmes que ceux des femmes singulières qui y ont une présence significative : Catherine Ursin, Martine Birobent, Marie-Rose Lortet, Caroline Dahyot, Béatrice Elso, Darédo, Sophie Herniou. Elle crée des liens d’amitié avec elles, avec Olivier Blot ou Jean-Michel Chesné, des artistes à la démarche à la fois gratuite, volontaire et extrêmement rigoureuse. Elle a été artiste en résidence à La Galerie des Nanas à l’été 2017.
Olivier Blot
Olivier Blot propose un travail de sculpture sur bois et d’assemblage inédit, vaguement steampunk, toujours sensible. Sa petite maison à Cacouna, au Québec, en bordure du fleuve St-Laurent, est une extension de son travail, dans lequel le bois noblement patiné joue un rôle de premier plan. Sous peu, la demeure se transformera en galerie d’art et les touristes qui empruntent la route du Bas-St-Laurent auront une nouvelle halte à ajouter, dans ce lieu où soudainement, le travail des sculpteurs de St-Jean-Port-Joli bascule dans un monde surréaliste et onirique. Olivier Blot est aussi collectionneur et joue un rôle certain dans la découverte au Québec d’artistes tels Éric Demelis, Bernard Le Nen, Philippe Aïni, Stani Nitkovsky, Michel Macréau, Fred Deux.
Martine Birobent
Martine était d’abord une sculpteure qui travaillait la matière (…), elle voulait garder l’emprise sur son corps jusqu’à la fin. On avait affaire à une artiste dont la vie tenait uniquement à sa capacité de créer. À partir du moment où elle n’en était plus capable, elle n’était plus dans la vie (Jean-Robert Bisaillon, cité par Yvan Provencher, La Tribune de Sherbrooke, avril 2016). Née à Mont-de-Marsan en France en 1955 et décédée à 60 ans à Asbestos au Québec, Martine Birobent a eu recours à l’aide médicale à mourir. Personnalité rieuse et enthousiaste, capable de mobiliser et d’émouvoir facilement, elle parvenait à transcender un passé difficile, qui constituait le principal moteur de son travail. C’était une touche-à-tout passant de la peinture à la résine, de la fibre de verre au bois, des objets glanés au tricot et au crochet, aux assemblages de poupées cassées, porteuses d’un narratif puissant. Elle aimait « jouer » comme jouent les musiciens, improviser, laisser s’exprimer son « sus-conscient ». Tous les jours, elle investissait les recoins de son atelier et créait de nouvelles œuvres avec passion, toujours guidée par le besoin de dénoncer la censure, la famille, les violences faites aux femmes, aux hommes ou aux enfants, la bêtise et le manque de légèreté. Son travail crève de sens, sa mémoire est vitale. En 2011, elle fonde La Galerie des Nanas pour pouvoir montrer son travail qui dérange alors, et qui dérange encore.
Catalogue en ligne : http://www.martinebirobent.com/
Site officiel : http://www.birobent.com/
Claude Bolduc
Il est né en 1955 à Alma. Vers huit ans, en regardant un film sur la vie de Van Gogh à la télévision, il a la révélation que Dieu l’a envoyé sur terre pour transmettre son message aux humains à travers la peinture. Le peintre dit « naïf » Arthur Villeneuve, dont il devient le voisin, lui transmet les rudiments de la peinture. A l’instar de son maître qui exerça le métier de barbier pendant 30 ans, Claude Bolduc sera facteur jusqu’à sa retraite. Chacun de ses tableaux est comme une lettre en souffrance qui attend d’être vu. Chacun de nous est son destinataire. Que ses tableaux racontent des épisodes de sa vie, de l’histoire sainte ou de sa propre mythologie, tous apparaissent sur un fond peuplé de fantômes, de monstres et de corps arcboutés dans la jouissance et la torture. Certains penseront qu’il faut être fou pour se croire investi par Dieu d’une telle mission ; et si, au contraire, c’était non seulement une façon de s’inscrire dans l’histoire occidentale de l’art, mais plus encore une sagesse, en se reconnaissant non pas comme le petit génie tout-puissant, mais comme celui qui transmet et partage ce qui l’inspire, le facteur qui fait parvenir à leurs destinataires les lettres dont il a écrit avec son corps le chemin qui les mènent jusqu’à nous ?
Fredy Bouhier
Il est né dans l’ouest de la France il y a une quarantaine d’années, dans un port, on le suppose à sa gueule de bourlingueur. Quand, devenu adulte, il décide que la peinture sera pour toujours au cœur de sa vie, il comprend que ça ne passe pas pour lui par une école, même si elle s’appelle encore Les Beaux-Arts. Il va apprendre des grands maîtres, en allant dans les musées scruter pendant des heures leurs chefs d’œuvre, en tentant de reproduire ensuite les manières qu’il devine. Il ne refuse pas d’être ainsi l’enfant naturel de Goya et de Soutine ; ça l’arrange même un peu quand il trouve Fredy Bouhier trop nul. Avec chaque toile, se rejoue quelque chose des bagarres de rue qu’il a connues. Il lui arrive de la fracasser contre le mur, de la déchirer, de la piétiner. Ses coups de pinceau sont des coups de poing et cette violence donne des tableaux qui nous mettent K.O. Fils de… peut-être, mais Fredy Bouhier reproduit dans chaque toile une alliance du tragique et de l’énigme qui n’appartient qu’à lui, comme dans son obsession de la Pièta dont il échange les figures, un corps de femme venant à la place de celui du Christ, la présence des hommes autour de ce corps devenant étrange et inquiétante, même dans leur immobilité.
Patrick Cady
Quand il découvre les premiers grands sculpteurs inuit, noyés dans la soupe mercantile que les Blancs ont appelé « l’art inuit », il a un choc qui lui ouvre les yeux sur ce qu’il n’avait jamais eu conscience de voir depuis son enfance, comme si les figures diaboliques et humaines du Moyen Âge trouvaient leur préhistoire dans les transformations chamaniques sculptées des siècles après elles. Le sculpteur réalise alors qu’une statuaire l’avait toujours entouré, celle des façades en bois sculptées des maisons médiévales dans la vieille ville traversée chaque jour pour aller à l’école, les Atlantes qui soutenaient les orgues de la cathédrale et jusque dans sa chambre, où une femme en marbre, assise au bord d’un puits, offrait une forteresse imprenable aux figurines naïves représentant des Indiens. C’est en travaillant des morceaux de bois à moitié pourris, ramassés en forêt, qu’il se serait arraché à cette mémoire de la pierre pour donner des formes à des menaces plus contemporaines de destruction, en obéissant au pourrissement du bois pour dégager ce qui pouvait encore être sauvé, « ombres du bois » enfermées dans des boites vitrées, comme des reliques.
Caroline Dahyot
À la fois atelier, demeure et résidence de création, la Villa Verveine, en Picardie, est le quartier général de Caroline Dahyot. La façade de sa maison, qu’elle a entièrement peinte, a déclenché l’opprobre de la mairesse du village, au point d’en faire les manchettes télévisées ! En plus de la peinture et du dessin, Caroline Dahyot crée aussi des poupées et des marionnettes. Son travail est chargé d’amour et de tendresse. Ses scènes familiales et ses couples enlacés aux couleurs vives, aux empreintes post-punk, démontrent beaucoup de charme, de naïveté et de beauté. Pas une ombre de violence dans ce travail frais et spontané, marqué par une vraie patte, une authentique signature, celle d’une artiste avec un cœur à fleur de peau. Elle a été artiste en résidence à La Galerie des Nanas à l’été 2016.
Béatrice Elso
Béatrice Elso est originaire des Pyrénées, dans le Pays Basque français. Son travail est imprégné par le mystère surréaliste de ces lieux. Depuis ses premiers travaux, des œuvres sur papier à l’encre noire, elle a introduit le découpage papier, la couleur et le volume. Ses petits bas-reliefs d’une facture totalement inédite et ses magnifiques boîtes tridimensionnelles attirent de plus en plus le regard des galeristes et des collectionneurs. Singulière et autodidacte au travail inimitable, elle a fréquenté les ateliers de l’Art Cru de Bordeaux. Au cours des deux dernières années, elle a exposé au Festival Courants d’Arts, à Gentilly, ainsi qu’à la galerie Larage et à la galerie Dettinger-Mayer, toutes deux situées à Lyon. Le travail de Béatrice Elso est d’une rare qualité et sa démarche d’une légitimité incontestable. Elle fait partie de ces artistes qui se démarquent au sein d’une grande famille parfois difficile à appréhender, les arts hors-normes.
Daniel Erban
Né en Israël en 1951, Daniel Erban arrive tout jeune au Canada et amorce son travail artistique dès le début des années 70. Servi par un geste net et incisif, une touche brutale et directe, ses œuvres dépeignent la misère et le mal de notre monde contemporain. En se servant de la laideur, son arme de prédilection, il bouscule le spectateur et l’oblige à réagir et à prendre position. Cet univers intemporel et cauchemardesque, instinctuel et primitif, débordant de violence et de sexualité, évoque sans compromission le côté sombre de notre histoire et de notre inconscient. Bien que professeur de mathématiques pendant plus de 30 ans, sa pratique artistique a occupé une place majeure tout au long son existence. Décédé en janvier 2017 des suites d’une longue maladie, Daniel Erban nous a laissé une œuvre brute, crue et vraie, véritable témoignage brûlant d’humanité.
Mary Lou Freel
Née à Niagara Falls en 1943, elle habite à Montréal, où ses tapisseries sont entreposées les unes sur les autres sur un grand lit à baldaquin. Cela fait 35 ans qu’elle fait aller son aiguille avec du fil de laine, de coton et de soie. Sa mère et sa grand-mère lui ont appris la manière ; pour l’art, elle ne sait pas d’où ça lui est venu, peut-être de l’imagination et de la fantaisie de sa famille irlandaise émigrée dans le sud des États-Unis. Si son travail ne dit rien d’elle, ses tapisseries lui donnent une certaine forme de parole. Avec un père pianiste de jazz, elle se destinait à être pianiste, jusqu’à son premier concert qui sera le dernier : elle se révèle incapable de jouer en public. Des années plus tard, elle est devenue brodeuse, dans le silence des fils et de leurs nouages. Chacune de ses tapisseries raconte une histoire où les temps se mêlent comme dans les rêves, où les mémoires de la famille et de l’Irlande, de son paganisme et de son christianisme, de l’Antiquité et de l’espèce humaine forment d’étranges patchworks. Tard dans sa vie, elle a voulu aller à l’université, se demandant si elle devait se former à l’art textile ; sur ce qui l’intéressait, elle dit qu’elle n’a rien appris.
Anne-Marie Grgich
Présente depuis plus de 25 ans dans le paysage de l’art outsider contemporain des États-Unis et référencée dans le fondamental Outsider Art Sourcebook du magazine Raw Vision. Anne-Marie Grgich, d’origine croate, noircit des pages de livres, mais plutôt qu’utiliser un stylo, elle utilise des pinceaux, des marqueurs, des plumes, de la cire d’abeille et tout ce qui lui tombe sous la main. Les mots ont fait place à sa propre poésie, celle de visages indéfinis et puissants. Ses images ont une qualité visionnaire (Rose Gonnella, Raw Vision, printemps 1998). Voyageuse punk, collée sur la scène grunge de Seattle, sa vie est chargée de péripéties et d’événements troublants, qu’elle traduit dans la création compulsive. Possédant une intuition de la matière à toute épreuve, son travail est caractérisé par une sédimentation à l’extrême, une archéologie inversée : une œuvre palimpseste constituée d’œuvres superposées, pouvant évoluer sur plusieurs mois, voire quelques années, laissant parfois transparaître un vestige sous l’encaustique ou la colle tant qu’un collectionneur n’a pas mis fin au processus. Le travail de Grgich est d’une sophistication extrême. Elle a été artiste en résidence à La Galerie des Nanas à l’été 2015.
Danielle Jacqui
Née en 1934, Danielle Jacqui est sans conteste l’une des grandes artistes autodidactes des 20e et 21e siècles. Connue dans le monde entier pour « La maison de celle qui peint », considérée comme fondatrice du mouvement des artistes singuliers en Provence et instigatrice du Festival d’art singulier de Roquevaire, Danielle Jacqui est une femme de luttes : pour la reconnaissance de la production artistique populaire et amateur, contre la censure, ou pour sa grande œuvre, l’ORGANuGAMME, une colossale mosaïque d’argile de 35 tonnes, réalisée à Aubagne et installée à Renens, en Suisse. Je me voudrais souvent ailleurs, plus dans le savoir-faire et dans la perfection de ce savoir-faire. Mais, en même temps, je me rends très bien compte de la qualité même de mon travail, né de ce non savoir-faire, de l’imperfection et de l’appesantissement sur l’imperfection (Danielle Jacqui). Son travail, en constante mutation, évite la répétition à laquelle auraient voulu l’astreindre certaines galeries ayant flairé un filon. Elle exposait pour la première fois au Québec en juillet et août 2017, à La Galerie des Nanas.
Claire Labonté
Autodidacte, Claire Labonté, née à Québec en 1952, inscrit son œuvre peinte dans un contexte éminemment plus vaste que celui de sa terre natale, plongeant ses racines dans le fond commun de notre préhistoire. Nourrie à l’aune de notre inconscient collectif primitif et de cette pensée mythique à laquelle accédaient nos ancêtres cueilleurs-chasseurs, elle poursuit simultanément un travail intellectuel, fruit de lectures tant en anthropologie qu’en philosophie. Originale et hors-normes, sa méthode de travail consiste en l’application répétitive et obsessionnelle de minuscules taches et formes colorées sur des toiles de grands formats, élaborant ainsi au fil des semaines et des mois de véritables fresques mythologiques. À l’idée traditionnelle de composition, l’artiste privilégie le geste de peindre qui, au final, construit à lui seul son espace.
Anick Langelier
Si Anick Langelier s’exprime ainsi depuis son plus jeune âge, c’est certainement parce qu’elle est en parfaite osmose avec une puissance créatrice divine qui la pousse à peindre. Je suis sûr que son œuvre est régie par cette force surnaturelle bienfaisante qui lui fait voir ces images révélatrices d’un talent inné. Ce sont des images qui nous transportent dans une autre dimension. (Jean-Marc Rives, critique d’art). Anick Langelier est confinée dans un cadre de vie très circonscrit, une petite chambre où les fenêtres sont voilées et où les monographies, les romans fantastiques et les essais philosophiques sont les seules vues possibles sur l’extérieur. Depuis plus de vingt ans, cette jeune femme, habitée par le désir d’atteindre la perfection totale, peint avec toute son âme pour parvenir à transcender ses problèmes de santé. Dans ce travail en pleine évolution, ses tableaux les plus récents sont caractérisés par un souci du détail exceptionnel, au profit d’une narration inspirée par les grandes œuvres picturales, littéraires ou musicales qui jalonnent le parcours intellectuel d’Anick : des réminiscences de la Bible, de Rimbaud, de Poe, de Beethoven, de Lennon, de Van Gogh ou de Munch se côtoient dans un mashup inégalé, véritable explosion de références et de couleurs, une école personnelle qu’elle nomme Figuration littéraire. Entre le Saguenay d’Arthur Villeneuve et le New-York de Joe Coleman, Anick Langelier est un cas à part : la désormais grande naïve de Montréal-Est.
Shawn Mackniak
Originaire de la Saskatchewan, Shawn Mackniak étudie les beaux-arts et la psychologie à l’Université de Régina puis à l’Université Concordia (Montréal). Mais ce sont surtout ses voyages au Japon, en Thaïlande, au Mexique et en Europe qui lui révèlent la véritable nature de sa pratique de l’art. Fasciné par les différentes mythologies de ces peuples et par les émotions qu’elles expriment, il choisit la céramique pour donner libre cours à son imaginaire nourri de ces récits. De son inconscient et de ses mains surgissent alors, de façon obsessionnelle et boulimique, d’innombrables créatures inquiétantes et grotesques qui viennent peupler son atelier.
Jovette Marchessault
Fait étonnant, Jovette Marchessault a toujours besoin de présentation malgré l’obtention du Prix du Gouverneur général du Canada en 1990. Métisse, lesbienne, pionnière d’une vision holistique, animale et écologique, chérissant ce qu’elle appelait l’invisible, elle incarne sans contredit la genèse des singulières en terre d’Amérique. Pour la majorité de ses contemporains, Jovette fut surtout la modeste très grande dame du théâtre québécois, ayant à son actif près d’une vingtaine de textes marquants dont Madame Blavatsky, spirite. La langue de Jovette Marchessault est en soi une explosion de couleurs et de formes, totalement libre, jamais gratuite. Elle abandonne tôt la production de tableaux et de sculptures parce qu’elle préfère l’écriture, plus directe et moins coûteuse : Je n’ai désormais besoin que de ma machine à écrire et d’un peu de papier, disait-elle. N’en demeure pas moins que ses encres, bas-reliefs, masques et assemblages de bois sont de précieux legs, totalement en phase avec le travail des nouvelles autodidactes. Elle est décédée chez elle, le dernier jour de l’année 2012, à Danville en Estrie, à quelques pas de La Galerie des Nanas.
Sylvain Martel
Né à Saint Henri, quartier ouvrier de Montréal, les fées n’ont pas déposé l’art dans son berceau. Pourtant, il n’a aucun souvenir de lui-même sans dessin. À 20 ans, en découvrant dans un livre les photos des œuvres de Francis Bacon, s’impose à lui la détermination de faire du dessin sa vie, dans le temps que lui laisse l’usine d’impression de tee-shirts où il travaille encore. Autodidacte, il se donne une culture en peinture et dessin, mais aussi en littérature, en philosophie, en musique, sans oublier le théâtre et le cinéma. Une colère le guide dans ses choix et habite tous ses dessins. Après Bacon, Dado et Rebeyrolle sont les peintres dans lesquels il reconnaît quelque chose de lui. Viendra ensuite Fred Deux, dont le travail à partir de taches l’inspire. Depuis 30 ans, il ne dessine pas à grands coups de crayon, mais par milliers de points et de traits qui font croire à de la gravure. Même si ses têtes hurlantes avec leurs mâchoires énormes rappellent certains bédéistes et caricaturistes, cette minutie, et la radicalité de la rage qu’elle sert, s’en éloigne. Un moine pointilliste œuvre dans les ombres tandis qu’un archer nous atteint de ses traits.
Nancy Ogilvie
Aucune indication biographique sur son site Internet, rien d’officiel chez Nancy Ogilvie, refusée à l’entrée du département des beaux-arts d’une université de l’Ontario parce qu’elle avait été hospitalisée en psychiatrie. Son site a l’air à l’abandon, avec seulement quelques photos de peintures, représentation dérisoire d’une production importante. Elle a peut-être 35 ans, elle dessine et peint depuis son enfance, sur des panneaux de bois qu’elle ramasse, parce qu’elle n’a pas les moyens de s’acheter des toiles mais aussi parce qu’elle aime ce matériau. On dirait que sa peinture suinte du bois, qu’elle est née d’une forêt sauvage et urbaine. Les présences animales et humaines y sont peu à peu gagnées par des entrelacs de branches, comme si elles avaient été abandonnées et que la peintre avait laissé la nature reprendre son bois. Elle dit qu’elle peint ce qu’elle voit, des paysages et des scènes intérieures. C’est peut-être pour en calmer l’intensité et même la violence qu’elle métisse l’humain avec l’animal et le végétal.
Marion Oster
Elle nait au Niger et vit dans de nombreux pays d’Afrique avant de créer l’espace culturel Lucrèce à Paris, dans les années 1990. Il est évident que la diversité apparente des chemins abordés par Marion est de nature à déconcerter le besoin de cohérence de l’amateur conditionné par le discours ambiant et s’en remettant aux stéréotypes posés par les ordonnateurs de convenances. Toutes choses bien étrangères au langage de cette créatrice naturellement insensible aux recommandations de haut niveau qui entendent maîtriser les élans susceptibles de créer un certain désordre dans l’ordre se voulant à tous égards établi. Elle n’a que faire de ces prescriptions inscrites à l’envers dans le fonctionnement de la société contemporaine, en fonction de ses particularités à travers les siècles (Gérard Sendrey – Musée de la création franche, à Bègles). Marion Oster propose ex-votos, poupons tatoués, vierges pailletées et autres assemblages aux réminiscences spirituelles païennes. Elle dirige aujourd’hui la galerie Le Cœur au ventre à Lyon, berceau d’une collection personnelle fabuleuse faisant preuve d’un flair indéniable pour les propositions plastiques hors-normes. Elle a été artiste en résidence à La Galerie des Nanas à l’été 2014.
Evelyne Postic
Pour s’évader, rompre avec la routine et les soucis, Evelyne Postic marque le papier compulsivement. D’abord amateur, elle deviendra vite une professionnelle. Son travail est exposé dans les galeries lyonnaises Dettinger-Mayer et Le Cœur au Ventre, à la galerie Polysémie à Marseille, à La Galerie des Nanas au Québec, à la galerie Conil à Tanger, à la Outsider Art Fair à New-York, à Amsterdam, à Bruxelles ou encore à Gênes. Son travail hybride, entre la planche scientifique, le vaudou, le tatouage tribal et la dentelle bretonne a trouvé son souffle et son sens. De la cellule au corps humain, du végétal à l’animal, tout est représenté ensemble, assemblé, relié, juxtaposé dans un même milieu plus ou moins protégé. Et pourtant, le spectacle du vivant a des aspects inquiétants. Incomprise, la machinerie du vivant peut devenir absurde, irréaliste, suspecte. Alors, la bulle du microscope qui enferme toute la création se glace d’effroi ! Mais quand le dessin d’Evelyne Postic devient totem, que le grand sage parvient à se hisser au-dessus du grand métabolisme pour dialoguer enfin avec l’autre invisible, le mystère de la vie, sans se dissiper, s’apprivoise en toute sérénité. (Catherine Conil, Galerie Conil, Tanger, Maroc)