Attention : état brut! constitue une rare exposition indépendante consacrée à l’art hors-norme et autodidacte au Québec. Sous l’impulsion du commissaire Hugues Brouillet, l’exposition permet la découverte d’une vingtaine d’artistes du Québec, de la France et des États-Unis sélectionnés parmi les coups de cœur de trois amateurs d’art marginal du Québec : Jean-Robert Bisaillon [La Galerie des Nanas, Danville], Patrick Cady [Musée de l’Art Singulier, Mansonville] et Robert Poulin [Galerie Robert Poulin, Montréal]. D’emblée, le corpus d’œuvres semble éclectique tant les propositions sont variées, mais la cohérence est assurée, selon Hugues Brouillet, par : « l’imperméabilité des artistes à toute influence extérieure ». Cette idée, par ailleurs contestée, – Qui, aujourd’hui, peut prétendre être à l’abri d’influences? – devrait plutôt être comprise ici comme l’incarnation d’une quête d’authenticité tant dans l’expression, que dans les matériaux, voire dans le mode de vie des artistes choisis. En effet, chez ces artistes, la création relève souvent d’une nécessité vitale, voire curative, qui rend la frontière entre l’art et la vie extrêmement ténue. Ainsi, le besoin de créer peut se manifester suite à une révélation, des visions, une compulsion ou par pure passion. De plus, la diversité des techniques et des matériaux utilisés fait également état de cette créativité insubordonnée : sculptures à la résine, à la fibre de verre ou sur bois, collages, peintures sur toile, sur papier ou sur pièces de bois, dessins à l’encre ou au stylo bille, broderie, crochet ou tricot, réalisés sur, ou à partir, de matériaux « pauvres » ou d’objets récupérés. Soulignons par exemple le travail de Daniel Erban dans lequel, à travers la brutalité d’un geste vif, la sexualité et la violence explicites forcent l’attention vers des émotions ou des préoccupations souvent occultées dans l’imaginaire collectif. Mary Lou Freel, quant à elle, développe dans ses œuvres textiles d’une poésie unique, des narrations mythologiques, magiques ou oniriques ou encore des scènes de genre qu’elle brode ou tisse inlassablement. Ces ambiances chimériques se retrouvent également dans les dessins à l’encre d’Évelyne Postic dont la minutie du trait frôle l’obsession. Ses corps primitifs, en communion avec l’animal et le végétal, qu’elle élabore sur le papier, transportent le regardeur dans des mondes surréels et fantastiques. Il faut également découvrir le travail de Martine Birobent et de Marion Oster chez qui l’attachement aux symboles chrétiens et à ceux de l’enfance est prégnant, voire magnifié. Poupées ou Vierges tatouées, décorées, habillées, modelées, détachées, pailletées ou enclavées sont au centre de leur travail; la qualité esthétique de ces créations est remarquable et le résultat envoutant. Par une approche intuitive, ces artistes créent des œuvres dotées d’une force expressive inouïe, déployant une représentation de soi incarnée, une mythologie toute personnelle. Les œuvres présentées à l’exposition engagent le visiteur dans des espaces intimes de la psyché humaine, rarement accessibles autrement que par l’expression artistique. En somme, Hugues Brouillet livre ici un projet ambitieux et riche de réflexions sur l’art et l’acte créateur, sur ses conventions et ses limites, qui demandent toujours à être explorées.
Flavie Boucher, M. A. Muséologie
Doctorante en histoire de l’art, Université de Montréal